Une histoire de masques à Watermael-Boitsfort

Une histoire de masques à Watermael-Boitsfort, écrite d’une seule voix par les habitants, l’administration et les politiques. Un témoignage, pour se souvenir qu’en temps de crise des alliances inédites et spontanées peuvent se mettre en place et agir pour le bien commun.

Une histoire de masque en deux actes écrite à Watermael-Boitsfort.

Acte 1 :
Annonce du confinement
Les masques autoproduits

18 mars 2020. Autour d’une frite du tram, quelques membres de l’administration communale et du collège se réunissent de manière informelle. Au coeur de la discussion, les personnes qui vont tomber malades et les personnes les plus âgées de la commune qui, plus que les autres, risquent gros dans les prochaines semaines.

Qui va alimenter en courses et en médicaments les plus isolées d’entre-elles? Les structures d’aide à domicile sont calibrées pour les besoins normaux. Si la demande explose et on ne sait dans quelle mesure cela peut arriver, comment vont-elles assurer leur mission, d’autant plus qu’elles aussi seront peut-être touchées par le virus ? Très vite arrive l’idée de solliciter les habitants qui le peuvent pour faire des courses ou promener un chien. Ces habitants volontaires devront être protégés et protéger ceux à qui ils apportent leur aide. Il leur faut des masques.

Nous ne sommes pas les seules à y penser. Deux appels, une couturière spontanée en manque de tissus, de coupeuses et de livraison des masques à ceux qui en ont besoin, une autre en manque d’élastiques. Le groupe masques autoproduits se constitue spontanément avec comme objectif de venir en aide aux couturières pour les fournitures et le dispatching des masques à qui en a besoin afin que les couturières puissent se concentrer sur la couture.

5 femmes de services communaux différents se rassemblent autour du projet. Beaucoup de réunions virtuelles, beaucoup d’appels, de mails et de messages Whatsapp et la machine se met en route. Appel aux dons, recherche de modèles validés, de matériel adapté, installation d’une poubelle verte pour la réception des dons devant la maison communale, instauration du bar de la maison haute comme QG de réception et de distribution et communication de tout cela sur le site web et le facebook de la Commune.

Entre temps, un autre groupe communal se constitue autour de l’aide aux personnes, 6 pour recevoir les appels et activer les réseaux d’aide professionnels quand c’est nécessaire, 6 pour traiter les demandes qui pourront être prises en charge par les habitants bénévoles. Tout cela en télétravail car les règles de distanciation sont telles que nous ne pouvons être toutes dans les bureaux de la Commune. 350 bénévoles se signalent à l’appel de la Commune, dont certains sont déjà organisés par quartier. Chacun a identifié les tâches pour lesquelles il ou elle est disponible. 60 personnes pour la couture et la découpe, autant disponibles pour la livraison souvent à vélo.

Chaque bénévole activé reçoit un masque s’il en a l’usage. Les masques sont aussi distribués à des kiné, des dentistes, des aides-soignantes, … qui ne sont pas prévus dans le listing de distribution reçu du fédéral et qui se sont signalés à la Commune.

Entre-temps, le numéro d’aide 0800 est lancé. Les masques sont distribués à tous ceux qui en font la demande puis, pour réserver ces masques à ceux qui en ont le plus besoin, uniquement aux personnes de plus de 65 ans ou fragilisées par une maladie. Plus de 1700 masques sont ainsi distribués via ce canal mais beaucoup d’autres sont aussi distribués par celles qui cousent à des associations ou à leur proche. Plus du double certainement ont ainsi été distribués dans la commune ou en fonction des demandes venues d’ailleurs.

Deux fois par semaine depuis mi-mars, le bar de la Maison Haute a été ouvert à ceux et celles qui viennent déposer des masques et/ou chercher des tissus prédécoupés, du fil, des élastiques, à ceux et celles qui viennent chercher des masques pour les livrer aux 4 coins de Watermael-Boitsfort.

Acte 2 :
Annonce du déconfinement
Les masques achetés par la commune

Lundi 27 avril, le collège décide de commander 2 masques en tissus réutilisables par habitants de plus de 6 ans. 50 000 masques dont 4 500 masques enfants. La rédaction du cahier de charge et la recherche de fournisseurs fiables se fontt dans la foulée.

Mardi 29 avril en fin de journée, le marché est attribué lors d’un collège d’urgence. Il est choisi de faire appel à deux fournisseurs pour ne pas mettre tous les œufs de la Commune dans le même panier. On sait ce qui se passe sur le marché des masques. C’est la jungle. 2 500 masques enfants sont annoncés pour le mercredi 6 , 22 500 masques adultes pour le lundi 11. 12 500 dont 1 500 enfants pour le 13, le reste pour la fin de la semaine. On croise les doigts et on s’organise en amont pour la distribution. On va faire comme si. On doit être prêts bien en amont de l’arrivée des masques.

Quelle option choisir ? Points de distributions décentralisés, envoi par la poste, distribution en interne ? On ne connait pas les délais de la poste, on n’est pas certains que tout le monde aura l’info sur des points de distribution ou que tout le monde pourra se déplacer. On décide de distribuer nous-même via enveloppes personnalisées. Toutes les décisions doivent se prendre vite, être exécutées vite. Il n’y a pas de retour en arrière possible, pas d’expérience identiques sur laquelle s’appuyer. Il faut décider, quitte à se tromper et on se décide sur une distribution qu’on fera nous-même via enveloppes personnalisées.

Dimanche 3 mai. Depuis l’annonce de l’achat des masques pour les habitants, les questions fusent de toutes parts. Quand seront-ils livrés à la commune ? Quand seront-ils distribués dans les boites aux lettres. Pas de fausses promesses. Comment donner des réponses que nous n’avons pas. On communique sur la date d’arrivée des premiers masques et sur l’incertitude. On croise nos autres doigts pour que le 0800 tienne le coup le 11 mai si les masques ne sont pas là…

On relance les couturières pour répondre aux demandes de masques qui affluent. L’équipe masque autoproduits est sur le pont et est renforcée. Elles sont 10 à présent à se relayer en plus parfois de leur travail habituel qui doit continuer. L’équipe 0800 aussi.

Tous les jours à 9h30, le bourgmestre rassemble les personnes impliquées dans la gestion de la crise en vidéoconférence et fait le point sur les décisions du CORES – Comité régional de sécurité que nous devrons appliquer sur le terrain. La plupart d’entre nous n’avaient jamais entendu ce nom. Une trentaine de personnes partagent leurs infos et questions sur l’actualité chamboulée de leur service et répondent aux 4 questions désormais rituelles : les masques (fédéraux, communaux, autoproduits, achetés, pour les employés communaux, pour les acteurs de premières lignes qui n’en ont pas, pour les habitants), la continuité des services (guichets, écoles, permis, voiries, propreté, les bibliothèques…), l’espace public (les commerces et les marchés, les plaines de jeux, la distanciation…), la communication (entre nous et avec les habitants). La réalité de chacun est partagée. Chacun relaie à ses équipes.

Et en plus petit comité, on continue à se préparer pour l’arrivée des masques achetés. 25 000 enveloppes. 25 000 étiquettes. Quelle taille d’enveloppe, quelle taille d’étiquettes ? Nouveau marché public. Deux masques entrent dans une enveloppe américaine. On opte pour des étiquettes avec le logo de la commune, en bleu pour les adultes, en orange pour les enfants de 6 à 12 ans. La liste de tous les habitants de 6 ans et plus est constituée. La commune est découpée en 20 zones de distribution. Des cartes sont réalisées pour chacunes d’elles avec les rues qu’elles contiennent. Les étiquettes sont imprimées par zone, par rue, coté pairs et côté impairs. Il faut pouvoir classer les enveloppes dans des boites en carton par rue, dans l’ordre de numéro de rue dès la première opération et classer les boites par zone. L’enjeu : faire la distribution dans les boites aux lettres sans aller-retour inutiles.

La première liste d’habitants contient des rues en deux langues car chaque habitant est inscrit dans sa langue. Comment imprimer les étiquettes dans l’ordre de rue avec un fichier bilingue – la rue des trois tilleuls devient Drie Lindenstraat pour les habitants néerlandophones ? On pressent le chaos possible d’un double tri. Et on fait le choix d’associer tous les habitants à un nom de rue francophone en espérant que chacun comprendra. On recommence. On met en page et on imprime des notices pour accompagner les masques. Des notices enfants, des notices adultes.

On lance l’appel aux agents de l’administration communale pour la mise sous enveloppe et la distribution. On appelle ceux qui sont empêchés de travailler depuis le début du confinement, parce qu’ils ne peuvent travailler depuis chez eux ou ceux qui ne sont pas indispensables à la Commune pour la continuité des services qui peuvent encore être rendus en ces temps de confinement. Les autres, ils donnent déjà beaucoup. Beaucoup plus que d’habitude.

Jeudi 7 mai
On a finalement rassemblé toutes les enveloppes disponibles dans les services. Toutes américaines, avec et sans fenêtre, avec et sans logo. L’impression des étiquettes est lancée. 2 500 masques enfants ont été livrés. Les notices sont imprimées. 25 membres du personnel en disponibilité se sont inscrits. La Maison haute est aménagée en respectant les règles de sécurité.

L’opération enveloppe peut commencer. Mission : mettre un masque, se laver les mains au gel hydro alcoolique, remplir des enveloppes avec les masques enfants et leur notice et y coller une étiquette orange, coller des étiquettes bleu sur des enveloppes vides, coller des étiquettes oranges et ranger sa série sous élastique par bloc de rue paires et impaires du plus petit numéro au plus grand et les mettre dans une boîte. Une autre équipe vérifie et classe les boîtes par zone.

Vendredi 8 mai .
On continue.

Dimanche 10 soir
Soulagement. On reçoit le premier stock de masques adultes : 12 500.

Lundi 11
Le matin. A 25, on reprend les boites. Dans l’ordre, on met deux masques et une notice adulte dans les enveloppes aux étiquettes bleues, on maintient l’ordre des enveloppes pour que celles aux étiquettes oranges se trouvent au bon endroit de la distribution. On doit travailler zone par zone, pour qu’au fur et à mesure des zones terminées, elles puissent être livrées sans oublier de rue ou de portion de rue. Une 2éme équipe vérifie et finalise la zone.
L’après-midi. Nous sommes 35. 10 partent sur le terrain pour mettre dans les boites aux lettres. Les autres continuent et préparent les zones à distribuer le lendemain.

Mardi 12
On recommence. À 14h, plus de masques. L’équipe de la Maison Haute reprend avec les étiquettes et le classement des enveloppes par zone pendant que l’équipe qui distribue sillonne les zones. Les propositions d’aides des habitants affluent par mail, par facebook, par téléphone. On est reconnaissants mais on ne peut rajouter un élément à l’équilibre de travail que nous avons trouvé. On essaie de répondre à tous mais on en oublie surement…

Mercredi 13
12 500 masques sont attendus. Le camion est en route, on ne sait pas à quelle heure il arrivera.
Matin. A la maison Haute, on continue à coller les étiquettes. Dans la rue, les zones prêtes continuent à être distribuées. Une septantaine d’enveloppes n’ont pas trouvé de boites aux lettres. Elles sont parfois bien cachées. Les adresses sont vérifiées une à une…
Après-midi.
Certaines enveloppes orphelines ont retrouvé leur destinataire. Elles repartent sur la route.
L’équipe de la Maison Haute n’a plus de travail. Comme lundi et mardi, certains sont venus de loin, certains de moins loin mais à pied faute de transports en commun. Pour que personne ne soit venu pour rien, à 13h on décide de distribuer ensemble le toute-boite qui vient d’être imprimé. On avait donné priorité aux masques mais puisqu’ils ne sont pas là… Quelques-uns restent à la Maison Haute pour mettre de l’ordre dans toutes ces enveloppes qui ont reçu des étiquettes à grande vitesse.
16h : les masques sont là. Des enfants, des adultes. De quoi continuer le travail jeudi et vendredi.

Reste l’inconnue des derniers masques qui doivent arriver. Pour eux comme pour les précédents, on ne peut que croiser les doigts. Mais il y a une chose qu’on sait, c’est que nous sommes prêts à les recevoir et à les distribuer. Ils sont bien arrivés vendredi à 11h et ont été distribués dans l’après-midi.

L’histoire des masques n’est pas terminée. Elle va se prolonger sans doute jusque la semaine prochaine. Nous en recevrons plus tard de la région et du fédéral. Il nous faudra écrire un nouveau chapitre. Elle n’est pas complète car depuis le début du confinement, il y a eu aussi l’histoire à rebondissement des masques fédéraux à distribuer aux médecins, l’histoire de ceux destinés aux membres du personnel qui ont continué à travailler, aux guichets, pour nettoyer les locaux, dans les écoles ou au cimetière. Il y a aussi eu beaucoup d’autres histoires en parallèle qui mériteraient d’être racontées…

L’histoire des masques n’est pas terminée mais elle a déjà changé notre manière de fonctionner. Nous avons travaillé ensemble comme jamais. Tous autour du même projet, habitants, administration et politiques confondus. Aujourd’hui nous ne faisons qu’un autour des masques. Si la situation n’était pas aussi grave, l’histoire serait magnifique.